« On fait du heavy bien sûr. Mais pour le reste, je suis incapable de te citer un groupe auquel on ressemblerait. »
Patrick Gestede (CHRYSIS) par Shooting Metalhead
Interview réalisée par téléphone le 30/10/2023.
Après une première partie de carrière initiée en 1976 et interrompue en 1985, Chrysis revenait en 2009 et sortait en 2018 le bien nommé « Never Say Never », son premier long format. En 2023, la formation champenoise est à nouveau présente avec « Borderline », un album très différent de son prédécesseur et qui a fait naître en nous une foule de questions. Nous sommes allés les poser à son chanteur, Patrick Gestede. On y parle des deux albums de Chrysis, mais également de Motörhead, de Kiss, de Def Leppard, d'Angus Young, d'un masque à oxygène, de Battle Beast, et même d'Yves Mourousi !
Quoi de mieux que quelques digressions pour réaliser une interview borderline ?
Ahasverus : Bonjour Patrick. Le titre du nouvel album de Chrysis, « Borderline », mérite une explication.
Patrick Gestede : C'est assez simple : on a trouvé que les titres de l'album étaient très changeants. Même si Chrysis a l'habitude de faire des morceaux qui ne se ressemblent jamais, c'était particulièrement flagrant sur cet album, avec des titres assez lumineux et d'autres beaucoup plus sombres et complexes. Ca nous a semblé coller avec l'idée d'une personnalité borderline, capable de passer du rire aux larmes en un claquement de doigt. C'est la raison de cette intro, où tu entends quelqu'un rire, pleurer, puis exploser. On s'est donc dit que « Borderline » c'était un titre qui représenterait bien ce qui vous attendait sur l'album.
« BORDERLINE » - Artwork Phil Krier
Ahasverus : Vous avez remis le couvert assez rapidement après l'album « Never Say Never ».
Patrick Gestede : Rapidement ? Tu trouves ? Il y a tout de même quatre ans qui séparent les deux albums !
Ahasverus : Quatre ans ce n'est pas grand chose au regard de la longue carrière de Chrysis...
Patrick Gestede : D'accord. Mais il y a eu une trêve extrêmement longue dans la carrière de Chrysis, on a pris un break de plus de vingt-cinq ans ! En fait, voila comment on s'est retrouvés : quand Youtube est arrivé, on s'était perdus de vue depuis longtemps au sein de Chrysis, sauf Dom le guitariste que je croisais de temps en temps. Un jour je me suis dit que ce serait dommage qu'il ne reste rien du Chrysis des années 80, et j'ai fait remasteriser une vieille cassette que j'ai balancée sur Youtube. Alors je me suis dit que ce serait bête que les musiciens, mes potes, ne soient pas au courant, et j'ai réussi à les joindre, tous, en les contactant parfois sur leur lieu de travail et en croisant les doigts pour qu'il soit toujours le même. Coup de bol, j'ai retrouvé tout le monde ! Et on s'est dit que ce serait bête de ne pas se revoir, puis que ce serait bête de pas faire une répétition, pour s'amuser... Et voila, c'est reparti comme ça depuis quatorze ans... Mais après un break extrêmement long !
« Dans les années 80, tu pouvais citer vingt ou trente groupes que tu connaissais. Maintenant, rien qu'en Finlande, tu as cinq mille groupes de Metal ! »
Ahasverus : Tu parlais d'un break extrêmement long, mais vous avez néanmoins un parcours dans les années 80. Est-ce que la période te paraît plus favorable pour sortir des albums aujourd'hui ou est-ce que c'était plus facile avant ?
Patrick Gestede : Pour faire des albums, à l'évidence, c'est plus facile maintenant. Tout le monde peut faire des albums ! D'abord parce qu'on peut bosser chez soi, ce qui était impensable à l'époque. On peut enregistrer à distance, et tu peux faire un disque avec un mec qui habite au bout du monde parce que chacun peut enregistrer ses parties chez soi. Les albums sont désormais plus faciles à faire, et ils coûtent aussi nettement moins cher. On n'a plus besoin d'une maison de disques, plus besoin de label... . Alors tout le monde y va du sien. C'est bien, mais il y a aussi des contrecoups : on ne vend plus. Il y a trop d'albums qui sortent. C'est physiquement impossible à écouter. Dans les années 80, tu pouvais citer vingt ou trente groupes que tu connaissais, et encore. Maintenant, rien qu'en Finlande, tu as cinq mille groupes de Metal ! Et la Finlande, c'est seulement cinq millions d'habitants ! Alors on est perdus dans le magma de ce qui nous arrive aux oreilles, qu'on n'a même plus le temps d'écouter. C'est le jour et la nuit par rapport à ce qu'on connaissait dans les années 80.
Patrick Gestede (CHRYSIS) par Shooting Metalhead
Ahasverus : C'est vrai qu'avant quand tu achetais un vinyle de Kiss ou de Scorpions tu ponçais ses sillons jusqu'à l'usure...
Patrick Gestede : Et puis tu l'attendais, cet album ! Tu parles de Kiss. Moi Kiss quand l'album arrivait, j'étais là pour l'attendre ! J'allais à Reims chez un gars qui faisait des imports, et je grattais tout ce que je pouvais comme informations. Maintenant, sur Google, tu trouves tout sur le prochain album bien avant sa sortie... Avant c'était difficile d'avoir les infos. Il fallait acheter Best ou Rock N' Folk. On attendait avec effervescence, et quand on ramenait le vinyle à la maison c'était un moment magique. Il se passait un truc. Comme quand tu découvrais un groupe sur scène : tu ne savais pas comment il bougeait. Tu ne savais pas comment ils se fringuaient, les mecs. Maintenant, si tu veux savoir ce que porte Steven Tyler et la manière dont il bouge sur scène, tu demandes à Google, et puis voila... Ce qu'on a perdu, c'est beaucoup de magie... Il y a des bonnes choses, parce que tout le monde peut faire de la musique, chacun peut s'exprimer et espérer se faire entendre. Mais à côté de ça on n'a plus le frisson de la découverte. Quand tu voyais Judas Priest ou AC/DC pour la première fois, tu ne savais pas qu'Angus Young bougeait comme ça. Maintenant tu vas au concert, tu sais déjà tout. De nos jours le poil qui se dresse sur les bras, on n'a plus, ou différemment, mais c’est incomparable.. Il n'y a plus non plus d'énormes différences entre les groupes, c'est un peu comme si on avait fait le tour du truc. Avant, entre AC/DC et Iron Maiden, il y avait un gouffre, chaque groupe était une découverte à part entière avec un univers très différent, maintenant avec la multiplicité des styles et des groupes, on ne retrouve plus ce fossé qui rendait les formations très indentifiables les unes des autres.
« Il y a des niveaux hallucinants, la question n'est pas là. C'est nous qui sommes blasés. »
Ahasverus : Je me souviens d'avoir eu un choc lors de la découverte d'albums comme le second « Keeper » d'Helloween ou le « Slave To The Grind » de Skid Row, mais effectivement je ne me souviens pas d'avoir eu des émotions semblables plus récemment...
Patrick Gestede : Je pense exactement la même chose. Le dernier truc qui m'a un peu déboîté ne date pas d'hier, c'était Kamelot. Quand j'ai découvert ce groupe je me suis dit « Putain, là il y a quelque chose ! » Ca remonte à quinze ans...
Ahasverus : Et c'est certainement pas parce que les groupes sont moins bons...
Patrick Gestede : Bien au contraire ! C'est pas une question de qualité : les mecs sont de mieux en mieux techniquement. C'est du costaud maintenant, notamment chez les Nordiques (mais pas que...). Il y a des niveaux hallucinants, la question n'est donc pas là. C'est nous qui sommes peut-être blasés par l’amoncellement de l’offre. Ce qui fait l’intérêt d’un truc c’est aussi sa rareté, et aujourd’hui trouver un truc qui sort carrément du lot c’est justement extrêmement rare. Mais encore une fois ce n’est pas parce que la musique est moins bonne, c’est uniquement parce qu’on a peut-être fait un peu le tour de la question et que la surprise ne peut plus être au rendez-vous.
« On est complètement instinctifs, on n'a pas de cahier des charges, pas de plan de carrière. »
Ahasverus : Au vu de tout ça comment avez-vous abordé « Borderline », votre nouvel album ? Vous aviez un cahier des charges ?
Patrick Gestede : On ne fonctionne pas comme ça du tout. On est complètement instinctifs, on n'a pas de cahier des charges, pas de plan de carrière. On est un groupe très simple, et même simple à l'extrême : on rentre en répétition, on improvise, on compose. Ca ne va pas chercher plus loin. On enregistre tout ce qu'on compose. Il n'y a jamais un titre composé qui ne soit pas enregistré. Et on se dit qu'on va sur un album dès lors qu'on a les dix titres. Il n'y en a pas onze, hein, c'est pas un best of ! On n'a pas cinquante titres dans un tiroir dont on extrait les dix meilleurs pour l'album. On compose dix chansons, et c'est les dix qui sont sur l'album.
Ahasverus : Comment avez-vous procédé pour composer ces dix morceaux ?
Patrick Gestede : Avant on partait plutôt d'un riff de guitare ou d'une idée de chant. Désormais, de plus en plus, et cet album-là n'a été composé pratiquement que comme ça, on part d'une improvisation. Avec Dom (guitare), on joue ensemble depuis qu'on a quinze ans. Tout a commencé dans une chambre. Trois accords, moi et ma voix d'adolescent, et pour la basse on tendait une corde sur un manche à balai, tu vois le genre ! (Rire) On était des gosses avec des rêves de gosses, on voulait devenir Saxon ou AC/DC. Alors on se connaît tellement maintenant qu'on sait tout de suite ce que l'autre va faire. D'un coup d'oeil on sait où on va bifurquer. Alors même en impro, ça peut aller très vite. Et comme la section basse/batterie tire maintenant dans le même sens que nous, ça marche vraiment bien. Par exemple on part d'un rythme de batterie, le guitariste se cale dessus comme il peut, j'arrive avec le chant, la basse suit, et au bout d'un moment on déboule sur une idée. Souvent, c'est quand on se chauffe dans les répétitions qu'il arrive un moment où il y a des idées qui se rejoignent. Alors on se regarde et on se dit « Oh ! Là il y a un truc ! » Alors on enregistre et on conserve. Dix fois ça ne donnera rien, c'était juste de l'échauffement, mais de temps en temps il y a ce truc particulier qui te fait penser qu'il faut creuser l'idée. C'est comme ça maintenant, on se connecte avec une impro, personne n'a rien préparé avant, personne n'amène rien. On roule, c'est tout. Le seul truc, si nous avions un cahier des charges, ce serait de chercher à composer un morceau rapide si on trouve qu'on a trop de mid-tempo en stock à ce moment là.
Ahasverus : J'ai trouvé « Borderline » très différent de son prédécesseur « Never Say Never », et pour tout dire je n'ai pas eu l'impression d'avoir affaire au même groupe...
Patrick Gestede : D'abord on ne fait jamais le même titre. Ensuite je suis d'accord sur le fait qu'il sont différents, même si, de l'intérieur, on ne le ressent pas trop. Dans le groupe, on se voit régulièrement, on ne perçoit pas l'évolution, elle ne se fait pas de manière brutale. Alors y a-t-il des différences entre ces deux albums ? Certainement, mais finalement pas tant que ça pour nous. Par contre ce qui a changé, c'est qu'on n'a pas composé les titres avec la même section rythmique que sur « Never Say Never ». La section rythmique actuelle est arrivée pour l’enregistrement du premier LP mais avec des titres composés pour l’essentiel avec le précédent duo rythmique. Sur les compos de « Never Say Never », le bassiste était aussi rock que metal, et le batteur était plus métal prog', tandis que maintenant nous tirons tous dans le même sens. Les compositions s'en trouvent renouvelées, on se permet de faire les titres dont on avait envie sans les aspirations (légitimes) d'un ou de musiciens qui nous tiraient, même inconsciemment, vers ce qu'ils préfèrent. Le deuxième album a gagné en cohésion rythmique avec Nico (Nicolas Sotiriou, basse) et Run (René Gabriel-Guérard, batterie). C’est sans doute en partie de cela que te vient la sensation d’avoir affaire à un autre groupe, l’importance de la basse-batterie dans le metal c’est pas rien !
Ahasverus : C'est fort possible. En fait je trouvais le premier album d'un hard/heavy assez classique, et le second me semble encore plus heavy. Il me fait penser aux premiers Accept (je songe notamment au morceau « In Your Name »), voire aux premiers Judas Priest.
Patrick Gestede : Je ne l'entends pas comme ça, mais il est toujours intéressant d'avoir un point de vue extérieur. Pour ma part, je n'arrive pas à trouver de références, même si « Cadillac », est à l'évidence un clin d'oeil à Motörhead, c'est pourquoi tu m'entends dire « Stay clean » et « No class » sur ce morceau, ce sont mes deux titres préférés du groupe. On fait du heavy bien sûr. Mais pour le reste, je suis incapable de te citer un groupe auquel on ressemblerait. En fait on a la tête dans le sac, et quand tu es trop dans le truc, tu n'as plus assez de jugement objectif sur ce que tu fais.
Ahasverus : C'est aussi le son qui me fait penser à ça : je trouve que vous avez un son — et ça n'a rien de péjoratif — très années 80, sur cet album plus encore que sur le précédent.
Patrick Gestede : Je suis d'accord. « Never Say Never » avait été enregistré un peu bizarrement. Un vrai chemin de croix ! Il a été enregistré quasiment en live. On entend d'ailleurs parfois des fluctuations dans le rythme, elles tiennent au fait qu'on joue live. Bien sûr on a réenregistré quelques parties de guitares et des bricoles, mais la base est purement live. Le son est un peu plus lourd, il y a un peu plus de fréquence basse, il est un peu plus power-sound toute proportion gardée. C'est logiquement moins propre que sur « Borderline », sur lequel on entend plus distinctement les instruments, qui sonnent un peu plus clair et plus metal 80 peut-être, sans qu’il en ait eu la volonté. La spontanéité et le coté sans fioriture, brut de décoffrage du premier a aussi son charme et ses adeptes ceci-dit, c’est une question de goût.
« Borderline » est plus chiadé, plus travaillé que « Never Say Never ».
Ahasverus : Où avez-vous enregistré « Borderline » ?
Patrick Gestede : Le premier album était enregistré en studio, mais « Borderline », c'est du fait maison. La batterie est en studio, mais tout le reste est fait chez nous. Ca change beaucoup de choses : on a plus de temps pour fignoler, on n'est pressés ni par le temps ni par l'argent, et quand tu sais le prix d'une journée de studio... Il faut savoir que sur le premier album, j'ai enregistré toutes les voix en une journée ! Neuf titres en une seule journée, c'est à dire en huit heures, en assurant les choeurs, les backing vocals. J'ai terminé la gorge en feu (Rire) ! Et sur certains morceaux, on n'a même pas eu le temps de doubler les voix. Sur « Borderline », j'étais chez moi. J'ai pris mon temps. Je pouvais reprendre le lendemain, je n'avais pas à payer deux ou trois cents balles de studio en plus. Ce n'est pas pour te dire que tel album est meilleur que l'autre, mais pour t'expliquer la différence. « Borderline » est plus chiadé, plus travaillé que « Never Say Never »...
Ahasverus : Ca explique qu'on t'entend aller chercher, sur « Borderline », des notes très hautes...
Patrick Gestede : Mais oui ! J'étais chez moi, j'avais le temps. Alors qu'en studio, au prix où ça coûte, tu vas à l'essentiel. Quand tu as encore cinq titres à mettre en boîte et qu'il te reste trois heures, tu ne vas pas chercher le fignolage.
Ahasverus : Est-ce que ça explique aussi que la guitare lead est plus présente sur cet album ?
Patrick Gestede : Oui, évidemment, Dom eu le temps aussi. Quand tu passes de trente minutes à trois jours pour poser un solo, la petite note qui ne te plaît pas tu peux la refaire. Encore une fois, je ne dis pas que c'est mieux. Les petites imperfections ça peut aussi donner du cachet. Je n'aime pas le rock N' roll parfait, j'aime bien quand il déraille. Enfin voila, la différence entre les deux albums repose sur ça : dans le premier on n'a pas le temps, dans le deuxième on l'a ! Le premier album a été enregistré en cinq jours. Le second s'est échelonné sur plusieurs mois, et même sur un an en y allant à notre rythme.
CHRYSIS par Shooting Metalhead
Ahasverus : Ca me rappelle les premiers Black Sabbath, enregistrés en quelques jours seulement.
Patrick Gestede : Ouais, c'est court. Tout le monde joue en live, et on ne reprend que ce qui est vraiment mauvais. C'est short, mais des fois ça sort bien.
Ahasverus : Je trouve cependant que ça ne s'entend pas du tout, « Never Say Never » reste un très bon album qui tient la route.
Patrick Gestede : Merci ! Ouais mais bon... moi je ne vois que les défauts. Que sans doute les gens n'entendent même pas. Je suis un peu casse-bonbons, je ne suis jamais satisfait. C'est pour ça que je ne nous ré-écoute pratiquement jamais : je ne vois que les fautes ! Je déteste m'écouter, et encore plus me réécouter. Mais je fais de plus en plus d'efforts pour m'accorder (nous accorder) une certaine indulgence... Je suis en voie de guérison ! (Rire)
Ahasverus : Les paroles, c'est toi qui t'en occupe ?
Patrick Gestede : Oui, de A à Z sans que personne n'y regarde. Ils me font confiance. Une fois fini je soumets le texte à l’approbation générale et pour l’instant je n’ai jamais reçu de retour à l’envoyeur. (Rire)
Ahasverus : Alors que signifie le titre « 666 or 45 » ?
Patrick Gestede : Ca fait quatre ou cinq fois qu'on me pose cette question. Il interpelle les gens, ce titre ! En fait certains y verront du complotisme, mais ce n'est qu'une réflexion. 666 c'est la Bête, le mal absolu. Il contrôle tout, il est derrière tout. C'est de ça que je parle : les gens derrière le voile d'ombre et qui manipulent tout. Ceux qu'on porte à la présidence ne sont que les pantins de ceux qui tirent les ficelles, non ? Même en 1945, est-ce que ce n'était pas la Bête qui tirait les ficelles ? Et si oui, dans quel but et au profit de qui ? Bien sûr j'ai aussi joué sur la sonorité des chiffres, j'aurai pu utiliser un autre évènement, mais ça sonnait bien à l'oreille, il ne faut pas aller chercher plus loin. Ce titre parle de ces gens qui tirent les ficelles dans l'ombre, de la facilité qu'ils ont à le faire en jouant avec notre crédulité. Jusqu'à quel point est-on manipulés ?
« Voila nos projets : une vidéo, trois à quatre dates en 2024, et quatre titres bouclés pour le prochain album. »
Ahasverus : Où peut-on trouver vos albums ?
Patrick Gestede : « Never Say Never » est disponible sur toutes les plateformes. « Borderline », le nouvel album, sera sur les plateformes ultérieurement. Les albums sont difficiles à vendre de nos jours, et si on les diffuse trop vite sur les plateformes d'écoute, avec lesquelles on ne gagne rien ou pas grand chose, on va vendre encore moins d'albums. On a donc décidé de prendre un peu de temps, de commencer par vendre l'album en physique, et de ne le proposer en digital qu'un peu plus tard.
Ahasverus : Pour l'achat en physique on vous contacte sur la page Facebook ?
Patrick Gestede : Oui, on a épinglé un lien en haut de la page. (NDLR : CHRYSIS)
Ahasverus : Quelle sera votre actualité lors des prochains mois ?
Patrick Gestede : D'abord la composition. On a déjà trois ou quatre nouveaux titres, « One Gun Shot », « Watch Out » et « Dressed In Black », qu'on a testés en concert, et on travaille sur un quatrième morceau. On a aussi des dates qui arrivent, mais je ne peux pas griller la politesse aux organisateurs en les annonçant. Sache juste que deux d'entre elles seront en Champagne-Ardennes, et la troisième sera à l'extérieur. Et on en revient à notre conversation initiale : il y a tellement de groupes qu'il devient aussi difficile de décrocher des places dans des endroits aux conditions suffisantes. On est donc fixés sur deux ou trois dates pour l'instant. Elles seront annoncées en temps voulu. On aimerait également faire une vidéo, on est en train d'en discuter. Là encore, c'est une question de moyens. Soit tu fais juste une répétition filmée avec les mecs qui jouent, pourquoi pas ; soit tu chiades un truc, et ça coûte de l'argent. C'est le nerf de la guerre ! Tu veux une vidéo ? File-moi cinq mille et je t'en fais une belle ! Voila nos projets : une vidéo, trois à quatre dates en 2024, et quatre titres bouclés en attente d'autres pour le prochain album.
Patrick Gestede (CHRYSIS) par Shooting Metalhead
Ahasverus : Merci Patrick d'avoir répondu à mes questions.
Patrick Gestede : C'est moi qui te remercie. Je n'arrête pas de le dire sur scène : sans vous on n'est rien. Sur scène, je n'arrive pas à dissocier le public du groupe. Pour moi les gens qui sont dans la salle font partie du concert au même titre que le groupe, ils font partie du groupe. On n'est rien les uns sans les autres, on se nourrit de nos passions. Le public fait partie intégrante du spectacle. D'ailleurs, des fois, le public n'est pas bon, alors que le groupe est très bon. Des fois c'est toi qui es dans un jour sans, mais parfois c'est le public. Je le prends comme un élément qui fait partie du spectacle. Alors je remercie souvent les gens pour l'intérêt qu'ils portent à la musique. Ce n'est pas de la démagogie, je le ressens vraiment. Les gens qui font des photos et qui te laissent les utiliser gratos, les gens qui font des kilomètres pour faire des papiers sur ton groupe sans rien te demander... Merci les mecs, j'adore ! C'est un vrai clan, et ça fonctionne bien.
« Aujourd'hui tu as le Wacken, et plein de festivals monstrueux, et il n'y en a pas un qui s'est dit il y a un public, il faut qu'on fasse une chaîne. »
Ahasverus : On termine sur une note positive, après avoir commencé en mode « c'était mieux avant »...
Patrick Gestede : Oui. Mais ce n'était pas très négatif ce que je disais en guise d'introduction. Je trouve juste que les temps ont changé et qu'on a perdu le petit frisson de la découverte, ce poil qui se dresse sur le bras, parce qu'on est plus émoustillés comme avant à force de tout découvrir trop vite. On n'a plus les yeux écarquillés des gamins. On nous a mâché l'imagination et le plaisir de la découverte. Je me souviens encore de la première fois que j'ai vu ce putain de petit guitariste d'AC/DC bouger comme ça... J'étais placé avec vue sur les coulisses, et je voyais le roadie arriver tous les trois ou quatre morceaux avec une bouteille d'oxygène. Je ne savais pas ce que c'était, il posait un masque sur le visage d'Angus pendant quinze secondes, puis Angus repartait sur scène. Je me disais « C'est quoi ce bordel ? » C'était hallucinant ! Je me souviens aussi de Bon Scott qui portait Angus à travers le public. C'était incroyable, je ne savais pas qu'ils faisaient ça. Maintenant on connaît tout à l'avance, on n'est plus surpris et même, on l'attend. Ca me manque, vraiment. C’est comme entrer dans un palais des glaces avec des flèches qui t’indiquerait le chemin à suivre vers la sortie. Ça perdrait un peu de son piment tu crois pas ?! Tu te souviens de l'émission Juke-Box (NDLR : une émission diffusée sur Antenne 2 entre 1975 à 1978) avec Freddy Hausser ? C'était une émission d'une heure à une heure trente qui passait une fois tous les trois mois le samedi soir. Tu y trouvais les groupes incroyables qui sont devenus les dinosaures d’aujourd’hui ! C'était la seule manière de découvrir visuellement les groupes. Maintenant tu cliques sur Youtube et tu sais que Till (Rammstein) va cracher du feu, sur quel titre, à la quarante-cinquième minute du concert.
Ahasverus : Je me souviens aussi des Enfants du Rock et de Chorus.
Patrick Gestede : Oui. Antoine de Caunes était un peu plus punk et rock anglais. Il passait des trucs très intéressants. En fait, plus il y a de chaînes, moins il y a de rock. Dans les années 80, tu voyais Motörhead chez Mourousi. Tu imagines un groupe comme ça au JT de TF1 maintenant ?
Motörhead et Yves Mourousi au journal télévisé en 1987
Ahasverus : Le punk et le hard ne se fréquentaient cependant pas trop à la fin des années 70...
Patrick Gestede : Je ne peux parler que de mon expérience. A Reims on avait une boite qui s'appelait Le Tigre. C'était un lieu mythique qui ne passait que du rock, du metal, et des trucs qu'on n'entendait pas ailleurs. Le public de cette boite, c'était beaucoup de métalleux, mais aussi des punks, et on s'est toujours très bien entendus. Alors de manière plus sociologique, qu'il y ait eu du tirage entre punks et métalleux, c'est possible, mais moi je ne l'ai pas vécu. Les punks écoutaient sans déplaisir « Whole Lotta Rosie » d'AC/DC, et les métalleux écoutaient les Pistols de la même manière. C'était aussi une époque qui voyait débarquer Joe Jackson, Police, ou U2 qui fédéraient un peu tout le monde. Dans cet endroit précis en tous cas.
« Il n'est pas seulement difficile de vendre, il est difficile d'être écouté ! »
Ahasverus : Tu te souviens de Tonton Zeguth ?
Patrick Gestede : Bien sûr ! Et de Patrice Blanc-Francard, sur France Inter. Je crois avoir découvert dans une de ses émission le morceau « Hello America » de Def Leppard. J'entends ce truc, avec ses choeurs incroyables, je note le nom en phonétique, et je cherche comme un fou jusqu'à trouver cet album, « On Through The Night ». Quelle claque ! J'ai décroché de Def Lep par la suite. Mais à l'époque, on chopait tout ce qui passait. Comme Georges Lang sur RTL. Je passais des nuits à écouter Les Nocturnes. Et évidemment Francis Zeguth, qui a fait énormément pour le Metal. Il avait la volonté de faire marcher le truc. Aujourd'hui télés et radios freinent des quatre fers. Arte fait des efforts, je regarde souvent ses replays. Aujourd'hui tu as le Hellfest, Wacken, et plein de festivals monstrueux, et il n'y en a pas un qui s'est dit « il y a un public, il faut qu'on fasse une chaîne », alors qu'on trouve des canaux spécialisés pour des trucs très confidentiels... Tu as des opérateurs qui te proposent neuf cents chaînes, mais dans le bouquet tu n'as pas une chaîne Metal ! Bon, après, je n'écoute pas que du Metal. D'ailleurs le titre « No, No, No », sur l'album « Borderline », est un titre qui se réfère à Amy Winehouse et au titre « Rehab ». Je trouvais cette chanteuse émouvante. J'adorais sa voix, elle me donne des frissons. Sinon côté Metal, ce que j'écoute le plus en ce moment, c'est Battle Beast. La voix de Noora Louhimo, j'ai plus de mots... C'est énormissime ! Mais on passe à côté de tellement de trucs monstrueux qui se retrouvent noyés dans la masse. Désormais il n'est pas seulement difficile de vendre, pour un musicien, mais il est difficile d'être juste écouté ! Rien que dans mes contacts, il y a trois ou quatre groupes par jour qui sortent un album. Comment veux-tu écouter tout ça ? La part du gâteau, c'est des miettes pour tout le monde excepté pour les quelques dinosaures ! Et même Battle Beast, avec sa chanteuse qui est peut-être la plus grande vocaliste du circuit, il y a encore des gens qui ne connaissent pas. C'est dire...
Ahasverus : Merci Patrick de m'avoir consacré du temps.
Patrick Gestede : C'est moi qui te remercie pour ton intérêt.
Les photographies de Chrysis sont de Shooting Metalhead. Nous le remercions pour son aimable autorisation.