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Back to the roots : HEAVY DUTY, Endgame (2016), STILL ALIVE AND WELL ?
Le 03/03/2021
« Heavy Duty, c’est pas du playback. On a ça chevillé au corps. »
Heavy Duty, groupe de métal musclé, au talent régulièrement salué par les critiques, présentait en 2016 un album au nom prophétique : "Endgame". Il mettait ensuite sa carrière entre parenthèses. On notait cependant en cette année 2021 quelques soubresauts et une envie intacte de jouer chez la formation toulonnaise. L'occasion de revenir avec Chris Caprin (batterie) et Ivan Pavlakovic (chant) sur la dernière ruade discographique du groupe et de s'interroger : Heavy Duty est-il toujours en vie ?
HEAVY DUTY par Low Faure
Bonjour Heavy Duty. Tout d'abord replaçons "Endgame" dans son contexte de 2016 : François Hollande est président de la république. La France est en état d'urgence et la menace terroriste est "plus élevée que jamais". C'est aussi l'année de l'affaire Cahuzac, et Macron qui quitte le gouvernement pour fonder LREM. Musicalement, Gojira sort "Magma", Black Sabbath annonce "The End". Individuellement, vous êtes tous les quatre des musiciens très confirmés. Où se situe Heavy Duty sur la scène française ?
Chris (batterie) : J’aurais tendance à répondre : « au trou du cul du monde »… Ça peut paraître un peu exagéré, mais c’est pourtant pas loin d’être vrai ! Si je devais placer Heavy Duty sur une carte de France du hard rock cette année-là, ce serait un petit village du Haut-Var d’une centaine d’habitants… C’est en tout cas à peu près le maximum de personnes que l’on attirait à l’époque dans notre région pour un concert.
HEAVY DUTY par Low Faure
Il ne faut pas être superstitieux pour appeler son album "Endgame". On s'attendait plutôt à un "Built To Resist, Vol. II" !
Chris : Ah mais, c’est au départ comme ça qu’il aurait dû s’appeler. L’idée de base était de sortir les deux volumes à moins d’un an d’intervalle. Nous avions enregistré suffisamment de matériel pour remplir deux albums et nous étions partis sur l’idée de scinder les morceaux en deux parties…
Malheureusement, l’année 2015 n’a pas été terrible du tout au niveau du nombre de concerts et au lieu de sentir que le groupe avait franchi un cap au niveau notoriété en jouant dans d’autres coins de la France, nous n’avons pas bougé de la région PACA. L’avenir nous semblait bien sombre, l’horizon bouché et nous avons perdu la foi.
Pourtant, je peux t’assurer que jusque-là, nous y avions toujours cru. Mais en huit ans et quatre albums, nous avions l’impression d’avoir tout fait, tout donné, sans avoir récolté le fruit de ce que nous avions semé…
Je n’aime pas dire ça, car depuis nos débuts en tant que musiciens de heavy metal, nous avons toujours fonctionné avec la même passion en donnant tout pour notre musique. Seulement là, devant le peu de connexions avec le milieu du rock, le manque de soutien local et l’absence d’un booker qui nous aurait permis d’aller conquérir un autre public, on a lâché l’affaire… D’où l’annonce – à demi-mot – que la partie était terminée !
HEAVY DUTY (Chris) par Low Faure
Comment ce nouvel album avançait-il ? Aviez-vous une idée de la direction à prendre après "Built To Resist, Vol. I" ?
Ivan (chant) : Comme l’a dit Chris, les morceaux étaient déjà enregistrés et nous avons finalement décidé de les faire mixer par Serge Begnis, un mec bien, professionnel, qui avait travaillé avec Respect, l’ancien groupe d’Alain (guitare) et Olivier (basse) dans les années 90.
Résultat, il s’est avéré que le son était bien mieux que sur “Built To Resist, Vol.1” et c’est aussi l’une des raisons pour lesquelles nous avons décidé de sortir l’album en le renommant différemment.
"Venir envoyer le bois de temps en temps avec mes potes de Heavy Duty, en ce moment, c’est comme une bouffée d’oxygène…"
Musicalement, Endgame est très au point. Les mélodies sont accrocheuses, les soli magnifiques, et Ivan développe tout son panel vocal. Heavy Duty semble en forme et au sommet de son art...
Ivan : Merci, mec… Ça fait plaisir !
Chris : C’est bien pour dire qu’au bout du compte, nous y avons toujours cru. Nous étions tous d’accord pour stopper l’aventure Heavy Duty, mais dès que nous nous retrouvions en studio ou dans le local, l’envie et l’énergie étaient toujours présentes… Et ne nous ont finalement jamais quittés.
Nous ne sommes pas des dilettantes. Nous sommes juste une bande de mecs qui travaille sérieusement sans se prendre au sérieux. Si je peux me permettre, Heavy Duty, c’est pas du playback. On a ça chevillé au corps, on s’entend tous les quatre très bien et quand on se retrouve ensemble, que ce soit en répète, sur un soundcheck, en électro-acoustique devant vingt personnes ou sur un festival devant cinq cents, on se donne tous de la même façon : à 100 % !
D’ailleurs, aujourd’hui encore, à l’âge qu’on a, une fois que l’on se retrouve derrière nos instruments ou un micro, c’est comme si nous avions toujours vingt ans. J’estime que c’est une chance, car, avouons-le, combien d’autres ont jeté l’éponge à peine casés professionnellement, mariés et père ou mère de famille ?
HEAVY DUTY (Ivan) par Low Faure
Ivan : Un paquet ! Moi, chanter, c’est ma vie, c’est mon métier. Et je peux t’avouer qu’en cette période difficile pour la culture et le spectacle vivant, je suis extrêmement malheureux de ne plus pouvoir exercer ma passion. Il y a une vraie frustration. C’est pour ça que de venir envoyer le bois de temps en temps avec mes potes de Heavy Duty, en ce moment, c’est comme une bouffée d’oxygène…
L'artwork, avec cette carcasse rouillée sur fond rouge, est l'un des plus beaux de votre discographie. On dirait une affiche de film...
Chris : Merci. C’est signé Laurence Faure, ma femme. Tous les deux, nous avions eu l’idée de nous inspirer de l’affiche du film “Death Proof” (“Boulevard de la Mort” en français) de Quentin Tarantino. On a fait ce qu’on a pu… Tu sais, pour parvenir à réaliser et sortir “Endgame”, on a mis les bonnes volontés à contribution. Et crois-moi, elles n’étaient pas nombreuses. Que les quelques personnes qui ont toujours œuvré dans l’ombre soient ici remerciées. Elles se reconnaîtront.
L'artwork de Endgame par Low Faure
Tout se passe comme prévu dans la réalisation de l'album ?
Ivan : Je dirais même que, bizarrement, tout ne s’est jamais si bien passé ! Les prises avaient le son, le mix s’est fait rapidement, dans une ambiance au top et comme tu l’as souligné, c’est certainement le meilleur truc qu’on ait réalisé avec Heavy Duty. On voulait terminer sur une bonne note et c’est exactement ce qu’il s’est passé…
"Quand tu t’investis à fond et que tu donnes le meilleur de toi-même, impossible d’être déçu."
Aucun clip pour défendre "Endgame" à sa sortie, si ce n'est une "lyric video" de "Because". Pourquoi ?
Chris : Parce que c’était la fin, mec ! On a vraiment tout fait avec nos bites et nos couteaux et nous n’avions plus les moyens ni l’envie d’investir de nouveau pour un projet qui était voué à s’arrêter dans l’année qui suivrait la sortie de l’album.
Le succès critique est au rendez-vous, comme pour tous vos albums. L'accueil du public est-il à la hauteur ?
Chris : Oui, et ça, on ne pourra pas nous l’enlever. De “Second Coming” à “Endgame”, les critiques ont toujours été très positives. En revanche, côté public, c’était que dalle… Les gens ne nous connaissaient pas, en fait. On va donc dire qu’on a eu un succès d’estime. Ce qui est toujours mieux que pas de succès du tout ! Personnellement, ça me va et je n’ai aucun regret. Quand tu t’investis à fond et que tu donnes le meilleur de toi-même, impossible d’être déçu.
La reprise de Lynyrd Skynyrd, je l'aurais plutôt vue en bonus sur l'EP qui précédait...
Ivan : Tu as bien le droit de penser ça… Mais nous, on trouve que cette version vitaminée de “That Smell” a au contraire tout à fait sa place sur l’album. C’est une reprise que l’on a joué à notre pogne, qui sonne vraiment comme du Heavy Duty, bref, comme on dit aujourd’hui, nous nous la sommes appropriée. Et franchement, on en est assez fiers !
HEAVY DUTY (Olivier) par Low Faure
"Endgame" se termine par "So Far Away", un très beau morceau acoustique. Un peu comme "No Tomorrow" clôturait "Built To Resist"...
Chris : Eh ouais, à la base, il y avait eu le concept du Volume 1 et 2… C’est donc normal que “Endgame” se termine comme ça. On n’allait quand même pas tout changer ! Et puis c’est aussi une manière de montrer une autre facette de Heavy Duty que nous avions dévoilée sur une petite série de concerts en électro-acoustique.
Ivan : A l’époque, il y avait eu un gros travail d’adaptation pour faire sonner certains de nos morceaux en acoustique… Je me souviens que des titres comme “Rage” ou “Haters” de l’album “Second Coming” sonnaient même mieux que les originaux ! On a toujours eu une démarche créative et le désir de se remettre en question.
"Si tu as entendu un long silence, c’est juste parce que tu étais loin et qu’on n'a pas dû jouer assez fort."
Michaelle Rudelle, la chanteuse du premier Heavy Duty, partage avec Ivan le chant sur "Complete", un titre de "Built To Resist, Vol. 1". Ca ressemble à une manière de boucler la boucle...
Chris : C’est exactement ça. On a commencé l’aventure Heavy Duty avec elle et on la termine avec ce clin d’œil. Pour la petite histoire, si nous n’étions pas fâchés, nous ne nous sommes pas parlé pendant plus de cinq ans… Puis sur un concert de HD, j’ai recroisé le fils de la chanteuse et je lui ai demandé si sa mère m’enverrait chier si je lui passais un coup de fil. Il m’a dit non. J’ai appelé, ça s’est bien passé et j’ai ainsi pu lui proposer ce featuring qui me trottait dans la tête depuis quelque temps !
Michaelle est même venue chanter “Complete” sur scène avec nous plusieurs fois après la sortie de “Endgame”. La boucle était bien définitivement bouclée et la hache de guerre enterrée (rires) !
Le long silence qui suivra "Endgame" était donc prévisible pour vous à ce moment-là.
Ivan : D’autant plus prévisible que programmé… J’ai eu l’opportunité de me lancer dans un autre projet avec Disconnected, qui est aujourd’hui mon groupe. Mais ça ne nous a jamais empêchés de continuer à nous voir et à jouer du bon vieux HD régulièrement pendant ces quelques années.
Chris : Oui, si tu as entendu un long silence, c’est juste parce que tu étais loin et qu’on n'a pas dû jouer assez fort (rires)…
HEAVY DUTY (Alain) par Low Faure
J'ai choisi "Endgame" pour revenir sur votre carrière parce qu'il est extrêmement bien composé, et parce que, d'une manière ou d'une autre, il me semble une pierre angulaire dans la carrière du groupe. Qu'en pensez-vous ?
Chris : Tu peux demander à tous les membres du groupe, la réponse sera la même : musicalement, “Endgame” est la meilleure chose que nous ayons faite ensemble.
Le groupe était à maturité, Ivan avait réellement trouvé sa voie, mais devant l’absence de plans promos, de concerts, il fallait passer à autre chose et ne pas ruminer éternellement sur ce que l’on n’avait pas eu. Plutôt penser à ce que nous avions : un bon album dont nous sommes fiers.
Quel regard portez-vous aujourd'hui sur "Endgame", et est-ce l'album à recommander pour découvrir Heavy Duty ?
Ivan : Je conseillerais plutôt “Second Coming”… C’est le premier album avec moi au chant, c’est brut, live, sans fioritures, bref, c’est nous. C’est Heavy Duty.
Chris : Oui, je suis d’accord. Cet album contient de très bons morceaux, il a même été classé album du mois à sa sortie dans Rock Hard et c’est une bonne entrée en matière.
Après, mon cœur va tout de même plus vers “Endgame”… C’est plus mature, c’est là où on voulait tous aller.
HEAVY DUTY, "Second Coming" (2012)
Même s'il n'a plus rien sorti depuis 2016, Heavy Duty n'a jamais annoncé sa dissolution.
Alors aujourd'hui, vous êtes plutôt... "Endgame" ou "Built To Resist" ?
Chris : “Still Alive And Well” (1), plutôt… Avec, pourquoi pas, une petite touche de “Back In Business” si l’occasion se présente !
Merci Heavy Duty d'avoir pris le temps de répondre à mes questions.
Ivan : Merci à toi de nous avoir permis de nous replonger dans ce qui restera comme une super aventure musicale.
Chris : Oui, merci. Et puis bon, on est toujours vivants. Toujours aussi passionnés, alors comme nous jouons encore ensemble régulièrement, qui sait, on n’est pas à l’abri d’une bonne surprise dès que les salles rouvriront…
(1) "Back In Business" est le titre d'un EP de Heavy Duty.
Photographies de Heavy Duty : Low Faure. Nous la remercions pour son aimable autorisation.
LES CRITIQUES ONT DIT :
- "Je me demande encore une fois si les amateurs de metal sont conscients de la qualité des groupes de nos contrées."
https://www.auxportesdumetal.com - "Une galette de qualité et d'une efficacité redoutable. Bénéficiant d'une bonne production qui pourrait rendre jaloux certains groupes d'Outre-Atlantique, il faut saluer ici la qualité d'écriture du quartet et leur souhaiter le meilleur pour l'avenir."
https://www.pavillon666.fr - "Un excellent album, le son et l'interprétation de l'ensemble des musiciens étant sans reproches."
http://rockmeeting.com - "Un disque très puissant, plein d’énergie."
http://www.soilchronicles.fr" - "Résolument le meilleur album du groupe à ranger parmi les plus grands noms."
https://hardforce.com
Back to the roots : MOBIUS, "The Line" (2016)
Le 15/10/2020
« The Line c'est une écriture sincère qui m'a permis de mettre sur papier et en musique le passé. »
Voici à peine quatre ans, le 10/10/2016, sortait "The Line", le premier album de Mobius.
Les Lyonnais ont fait du chemin depuis. On les retrouvait début 2020 avec "Kala", qui mélangeait métal progressif et musiques du monde.
Mais qu'est-ce que "Kala" doit à "The Line" ? Et comment Mobius voit-il cet album aujourd'hui ?
Loin de tout challenge commercial, voici le genre de questions que nous posions aux Lyonnais, tout en soufflant avec plaisir les quatre bougies de cette première pierre à leur édifice. Guillaume Deveaux (claviers) et Heli Andrea (chant), ainsi que l'ingénieur du son Raphaël James, ont accepté de revenir sur ce premier album.
Bonjour Mobius. Tout d'abord replaçons "The Line" dans son contexte : en 2016. François Hollande est président de la république. La France est en état d'urgence et la menace terroriste est "plus élevée que jamais". C'est aussi le temps de l'affaire Cahuzac, et Macron quitte le gouvernement pour fonder LREM. Musicalement, Gojira sort "Magma", Black Sabbath annonce "The End". Où est Mobius sur la scène française ?
Guillaume (claviers) : Pour ces premières années, Mobius, vis à vis de la scène française, ça se passait... et bien à Lyon et sa banlieue ! Pas beaucoup plus loin... On a quand même eu l'occasion inouïe de jouer en première partie de Leprous en 2013, tout ça avec trois chansons-démo dans notre besace et le tout six mois après notre tout premier concert ensemble (c'est même la toute première scène foulée pour certains !). Cette date inoubliable nous avait mis un coup de boost, elle nous avait aussi ouvert les yeux sur ce qu'on était capables de faire.
Depuis quand le line-up se connaît-il ?
Guillaume : Le line-up d'origine, celui qui a donné naissance à The Line, s'est formé en deux étapes. D'abord Adrien, Anthony et moi même, qui nous connaissions depuis le collège (sur l'île de La Réunion). Une fois sur Lyon, on s'est mis à rechercher des musiciens pour compléter le groupe, et porter au mieux les ébauches de compositions que l'on avait sous le coude. On a rencontré Julien puis Héli, en 2012 il me semble. Quelques années pour se connaître, s'apprivoiser, faire murir les compositions, et on s'est lancé dans l'enregistrement de quelques titres en démo !
Mobius 2016. De gauche à droite : Julien Pelisson, Guillaume Deveaux, Héli Andrea, Anthony Laravine, Adrien Brunet. (photographie Julie Gobelin)
Trois ans après la démo trois titres dont tu parlais, vous préparez donc un album. Aviez-vous une idée de la direction à prendre ?
Guillaume : On avait une idée de l'album sur papier avant de monter Mobius. En tout cas on avait les titres, le concept (bien éloigné du résultat final), le nombre de pistes, l'ambiance de chaque chanson. Adrien et Anthony avaient vraiment bien formalisé leurs idées. Même si au final "The Line" est assez éloigné du concept de base, ça nous a permis d'avoir une ligne directrice pour composer, agencer les chansons, ce qui n'est pas une mince affaire lorsqu'on se lance dans ce genre de projet pour la première fois. Première fois pour nous tous d'ailleurs, ingénieur du son inclus !
La démo en elle-même n'était pas sur le calendrier, l'objectif c'était de sortir un album. Mais quand on a rencontré Raphaël James (l'ingénieur du son), on avait déjà ces trois chansons de terminées. C'était l'occasion de voir ce que ça pouvait rendre. C'était aussi une opportunité de se confronter aux difficultés d'un enregistrement, de voir ce qui était impossible à faire, de cerner les éventuels problèmes sur les chansons dans leur version de l'époque. C'était vraiment excitant de découvrir nos chansons avec tous les arrangements que permettent le studio, et avec un son "professionnel", suffisamment pour mes oreilles de l'époque en tout cas ! Ca a été un exercice extrêmement important pour nous tous, ces premieres sessions.
Les tâches se répartissent naturellement ?
Guillaume : Déjà à l'époque, c'était Adrien et moi qui composions l'essentiel de la musique. Certaines chansons ont pu bénéficier d'arrangements de façon collégiale ("Rising Mind" et "The Heresiarch"), mais Adrien et moi avions déjà les idées claires sur la plupart des chansons. Je dis bien la plupart, parce que pour des chansons comme "Cosmopolis" ou "Evasion", je n'ai eu le "déclic" que très peu de temps avant la date d'enregistrement ! Pour le plus grand bonheur de mes camarades (rires).
Pour l'écriture, la tâche a naturellement été donnée à Héli. Rien de naturel là-dedans à vrai dire, elle n'avait pas plus d'expérience que nous sur le sujet. Mais au fil du temps elle a réussi à trouver les sujets qu'elle voulait aborder sur l'album dans sa globalité, et individuellement dans chaque chanson. C'est d'ailleurs elle qui est à l'origine du titre de l'album. C'était important qu'elle soit maître de ses textes et de ses mélodies pour ce premier essai.
Qu'est-ce qui lui sert de fil rouge dans l'écriture, et pourquoi l'album s'appelle-t-il "The Line" ?
Heli (chant) : A l'époque de la sortie de "The Line", je n'en parlais pas ouvertement, mais j'avais besoin d'exprimer des traumatismes pour avancer dans la vie. Maintenant je pense que c'est un bon moment pour ça, et ton interview me donne l'occasion de parler plus librement du concept de "The Line".
Les textes sont principalement axés sur le besoin de trouver de la force en soi pour se construire. Je sortais d'un procès contre mon père qui a duré huit ans pour violence physique et harcèlement. J'ai grandi dans un climat de violence et de terreur. Ma mère est passée près de la mort plusieurs fois et aujourd'hui elle en porte de lourdes séquelles. Pour ma part, je n'ai pas de séquelles physiques mais psychologiques : ne jamais se sentir en sécurité, se sentir abandonnée par la famille, la société, vivre dans la pauvreté et l'exclusion sont des choses qui ont fait partie de mon histoire et qui ont fait de moi une adulte fragilisée. Donc quand j'ai commencé à chanter j'étais effrayée de tout, je n'avais aucune confiance, ni en moi, ni dans la vie, mais j'avais une certaine force de résilience et j'aimais chanter avec Mobius. Ainsi pour moi, The Line, c'est un cri, parfois bancal dans les paroles, pas toujours bien cohérent, mais une écriture sincère qui m'a permis de mettre sur papier et en musique le passé, et de me dire : "Ok, c'est fini maintenant." La première phrase de l'album c'est "Who am I today?" c'est la question que je me posais. Les paroles sont volontairement larges pour que chacun puisse les plaquer sur son propre vécu, mais aussi parce qu'elles parlent de moi et que je ne me sentais pas, alors, de porter ce message publiquement.
Sur "The Line" vous réenregistrez les trois titres de la démo de 2013. Pourquoi avoir transformé "Heretic Disaster" en "The Heresiarch" ?
Guillaume : Les trois chansons de la démo s'inscrivaient dans tous les cas dans l'album. Les enregistrer une première fois nous a permis de prendre un peu de recul sur la direction que l'on voulait prendre, et de ré-arranger certaines choses qui ne nous plaisaient plus (voire beaucoup de choses, sur "Herectic Disaster" par exemple). Dans tous les cas, les enregistrer de nouveau était un passage obligé pour avoir une unité de son et de production sur "The Line".
Héli : A mon arrivée dans le groupe, il m'a fallu du temps pour prendre ma place et mettre mes concept dans les chansons. Donc pour les trois titres de la demo (qu'on a enregistrée en premier), les concepts et paroles ne sont pas vraiment les miens. J'essayais de coller au concept qu'Anthony, Guillaume et Adrien avaient écrit avant mon arrivée. Mais ce n'était pas vraiment personnel. L'écriture de "The Line" a réellement été le moment où j'ai pris ma place et où j'ai pu parler de choses qui me tenaient à coeur. Donc les trois chansons de la demo sont celles dans lesquelles je me reconnais le moins. On a gardé les anciens titres, mais ils ne représentaient plus, pour la plupart, le contenu réel des chansons. Les titres ont aussi un côté daté, comme "Heretic Disaster", donc on a essayé de faire un entre-deux : garder les titres et les moderniser un peu. "Heretic Disaster" est devenu "The Heresiarch" par exemple. Aujourd'hui, je vois ça comme un premier pas vers une écriture plus mature.
Un premier album j'imagine que c'est un peu Candide qui découvre le monde... Y a t-il des réalités techniques ou financières, des déconvenues qui vous font descendre de votre petit nuage ou revoir vos ambitions ? (je pense par exemple à Héli qui pensait faire chanter des amis en chorale...)
Guillaume : La réalité financière, on y a été confronté avant même de commencer. Nous étions encore tous étudiants à l'époque, et louer un studio ou du matériel coûteux n'a même pas été envisagé. Le DIY (Ndlr : Do It Yourself) s'est vite imposé. J'exagère peut être avec le terme DIY, car même si Raphaël n'en était qu'à ses débuts en terme de mixage de cette envergure, ingénieur du son restait son métier et il était donc équipé en conséquence ! La réalité technique ne nous a pas vraiment effrayé, il faut savoir que pour 80% des enregistrements guitares, Anthony n'était pas à Lyon près de nous ! Il était retourné à La Réunion pour une longue période, mais on a pu trouver un autre ingénieur du son, de la même promotion que Raphaël, pour prendre en charge l'enregistrement des guitares.
Héli : Je n'ai jamais été déçue parce que je ne m'attendais à rien de particulier, faire un album, c'était une totale découverte pour moi. Les réalités techniques d'abord. Je ne savais pas gérer la distance au micro pour chanter, je n'avais pas de technique vocale pour me préserver et avoir de l'endurance, ce qui est essentiel. Donc j'ai eu des passages assez éprouvants pendant les enregistrements. Parfois, il y avait le volume mais pas l'émotion, ou l'émotion mais pas la technique... C'est après ces enregistrements que j'ai décidé de prendre des cours de chant pour gagner en confort, en endurance et en technique globalement. Ça a été très formateur et j'ai pris des notes tout du long avec notre ingé-son qui m'a coachée pour ces enregistrements. En terme financier, comme tout était fait maison avec notre ingé son, ça a beaucoup amorti les coûts. La batterie était électronique, et pour la voix on a mis un canapé debout et du linge tendu dans un salon pour créer une cabine studio. Quant à la chorale de potes : j'ai tenté, mais le travail était plus important que je le pensais. On s'adapte, on trouve de nouvelles idées, de nouveaux arrangements... Au lieu d'une chorale de copains, j'ai enregistré toutes les voix moi-même et c'était super. Je fais plein de chorales moi-même maintenant, j'adore !
"The Line" marque le début de votre collaboration avec Above Chaos. Un mot sur l'artwork ? Quel message vouliez-vous véhiculer ?
Héli : Pour résumer l'album, notre ancien guitariste et moi-même avons écrit : "Their choices designed my path, now I design the future. On the Line of who we are, between resistance and possibility". On naît et on grandit dans un environnement qu'on n'a pas choisi. On est prédestinés à porter un bagage culturel et social, mais on peut se défaire d'une partie si on le veut. Le foetus sur la pochette est dans une bulle confortable mais il va naître dans un monde abstrait où il devra trouver sa place. C'est un individu fragile qui va tracer sa voie dans un univers qu'il devra décoder. Donc pour résumer cette pochette qui est très épurée : c'est une sensation de petitesse face au monde qui nous entoure.
Avec Vincent Fouquet, alias Above Chaos, on a très vite accroché en terme de façon de travailler et dans notre manière de voir les choses. Il a rapidement dépassé son rôle de graphiste pour nous donner des conseils sur la promotion par exemple. On est devenus amis et au même titre que Raphaël, il fait partie des personnes qui nous ont boostés et encouragés, et qui nous suivent toujours aujourd'hui. Artistiquement, il a clairement une patte à lui, avec son background black metal (et donc pas du tout prog/djent/moderne), mais il a une palette d'émotions et d'univers riche. Il a donc réalisé la pochette de "Kala" par la suite, et on était vraiment sereins sur le résultat qu'il proposerait.
Comment votre son, signé Raphaël James sur cet album comme sur tous vos opus, a-t-il évolué ?
Raphaël (ingénieur du son) : L'évolution du son de Mobius c'est avant tout notre évolution à tous, techniquement et musicalement. "The Line" était notre premier LP, pour eux comme pour moi. Il y aurait beaucoup de choses que j'aimerais changer si je le refaisais maintenant, mais ça nous a permis d'évoluer avec Kala, de savoir où on voulait aller en terme de son, au niveau des arrangements, etc.
Héli : En terme de voix, de performance, d'intention et d'arrangements, je pense que depuis "The Line" on est beaucoup plus sur la voie de trouver "notre propre son" en tant que groupe. Tout a évolué. "The Line" était très formateur mais "Kala" l'a été tout autant, et l'expérience de "The Line" nous a permis d'aborder "Kala" avec plus de maturité. On a une meilleure direction, avec plus de recherches ensemble et plus de liberté sur le son qu'on voulait.
Si vous deviez réenregistrer THE LINE, que changeriez-vous ?
Héli : Enregistrer une batterie acoustique, changer les sons de guitare, certains arrangements voix, faire un coaching avant d'entrer en studio, changer les noms des chansons, etc. Mais c'est un témoin des musiciens qu'on était à cette époque, une photo de nos goûts à ce moment là, donc je ne changerais rien.
Guillaume : Je ne vais pas te mentir : TOUT ! Que ce soit le son des instruments, ou les arrangements musique et voix. Déjà à l'époque, les idées de modifications jaillissaient alors que l'enregistrement était terminé. Ca nous a appris l'importance des pré-productions pour chaque chanson. De toutes façons, je ne suis pas vraiment partisan de faire du neuf avec du vieux. Pour expérimenter sur "The Line", il nous reste le live ! Comme on a pu le faire avec la version maloya-acoustic de Rising mind au CriDuCol Festival.
Musicalement, y a-t-il eu des "fausses routes", des directions dont vous vous écarterez ?
Guillaume : Pas vraiment de fausses routes à mon sens, mais quand les chansons de "The Line" ont été enregistrées on peut dire qu'elles étaient déjà assez éloignées de nos aspirations musicales du moment. Certaines chansons dataient de plusieurs années, avant même que l'on pose le pied à Lyon ! Les premières ébauches de "Mist of Illusions", "Rising Mind" ou "Bursting Chaos" sont nées quand on baignait encore tous les trois (Adrien, Anthony et moi) dans le métal symphonique, le power et le prog traditionnel. Il y a forcément eu un travail de ré-arrangement assez conséquent pour harmoniser les compos anciennes et récentes, mais aussi pour intégrer les souhaits de Julien et Héli le mieux possible. Bref, il était clair pour nous tous que cet album n'était pas l'idéal musical que l'on aurait envisagé si l'on avait composé des choses entièrement nouvelles sur le moment. Mais ce projet de longue date nous tenait à coeur, on voulait le finir !
Aujourd'hui avec "Kala", on a volontairement laissé de côté l'aspect orchestre/choeur et chant lyrique, au profit de couleurs plutôt orientées moyen-orient et musiques du monde. Mais ça ne veut pas dire qu'on n'y retournera pas, rien n'est figé ! Malgré tout je n'ai pas résisté à mettre un ensemble de cordes sur Akasha et Bhati.
"J'en parle comme si c'était une ascension de l'Himalaya, mais un premier album, et même le fait d'avoir un groupe et de vouloir le développer, c'est un peu ça. C'est des sensations fortes et un panorama magnifique, mais c'est aussi des prises de risques, des limites, des frustrations."
Les chroniques de "The Line" m'ont paru majoritairement très élogieuses. Elles soulignent déjà la maturité, la maîtrise technique et le potentiel du groupe (voir in fine). Comment avez vous ressenti cette phase ? Sortez-vous satisfaits de l'accueil critique de "The Line" ?
Héli : Quelques semaines avant la sortie de l'album, on faisait de la promo sur les réseaux sociaux, on était impatients. En même temps, j'étais stressée à l'idée que tous ces efforts payent et qu'on découvre ma voix plus largement. "Que vont penser les gens ? Vais-je être cataloguée "chanteuse symphonique ?" Je cachais mon visage sur les réseaux sociaux, je voulais être jugée sur ma voix et ce que j'avais à dire, donc sur ma personnalité musicale. C'était le stress, j'avais l'impression qu'on allait me voir nue (rires). Je crois que quand l'album a été publié sur Bandcamp (sortie officielle), je me suis tenue loin d'internet pendant plusieurs heures.
Les premières critiques sont tombées, plutôt positives, puis de plus en plus de super critiques. On a eu un retour très positif de certains musiciens et de personnes qu'on respecte pour leur travail. Tous ces retours nous ont encouragé à défendre cet album et notre musique, et nous ont donné confiance. C'était très valorisant, et accueillir ces retours ensemble avec le nouveau line-up fraîchement formé, ça nous a solidifiés en tant que groupe je pense.
Le line-up, j'y venais : il y a du mouvement après l'enregistrement de "The Line" : Anton (guitare) et Julien (basse) sont remplacés par Xavier (guitare) et Alexandre (basse). Un rapport de cause à effet ?
Héli : Faire un album, y mettre tout ce qu'on a, son temps, son énergie, sa patience, son argent, c'était quelques sacrifices. Et quand on se rend compte que l'album est fait mais qu'il faut donner encore plus d'efforts pour le promouvoir, ça pousse dans ses limites, du moins quand on est autoproduits et qu'on veut faire passer le mot. Je pense que quand on mène un tel projet, c'est dans le but de grandir et de réitérer l'expérience. J'en parle comme si c'était une ascension de l'Himalaya, mais un premier album, et même le fait d'avoir un groupe et de vouloir le développer, c'est un peu ça. C'est des sensations fortes et un panorama magnifique, mais c'est aussi des prises de risques, des limites, des frustrations. Donc chacun d'eux, pour des raisons différentes, ne se sentait pas de s'investir par la suite à la hauteur de ce qu'on voulait, ce qu'on a compris sans aucun souci.
L'album a-t-il pu être suffisamment distribué ?
Héli : A l'époque on ne connaissait rien à la promotion. J'ai bénéficié de quelques conseils de Vincent Fouquet et d'Eddy Chaumulot (ex-T.A.N.K et Vise Versa) qui m'ont expliqué le principe du teaser, des chroniques et du reste. Alors j'ai pris un ordinateur et commencé des petits messages et emails. C'était un travail de fourmi qui nous a permis d'atteindre un premier public sur la toile, confidentiel à l'échelle du monde musical, mais de plusieurs milliers de personnes tout de même. De mémoire, on a du vendre quelque chose comme trois cents CDs, en France principalement, puis en Europe (pays voisins), et puis carrément à l'autre bout de la planète (USA, Canada, Japon, Mexique, Indonésie...). Merci Internet ! Donc je dirais que c'était un bon début pour nos petits moyens et notre connaissance limitée du domaine.
Quel jugement portez-vous aujourd'hui sur "The Line" ?
Héli : C'est un premier album dont je suis fière. C'est une étape dans ma vie musicale, et c'est un magnifique travail de groupe. Pour moi, il a ses défauts, ses petites longueurs, son aspect un peu démonstratif (cinquante-quatre minutes !) mais aussi son charme. Il porte les prémices d'un son et de concepts personnels, et c'est un beau témoin des musiciens que nous étions il y a des années. "Cosmopolis" et "Mist of Illusions" sont les morceaux dont je suis la plus fière parce qu'ils sont variés en intensité, punchy et hyper fun à jouer en live.
Guillaume : Même si j'ai énormément de mal à l'écouter aujourd'hui (!), il a une place spéciale dans mon coeur. Contrairement à "Kala", il y a mille choses et mille choix que j'aurais voulu faire différemment. Mais c'était l'album de toutes les premières fois et dans cette optique je ne peux en être plus fier, que ça soit en terme de plaisir personnel mais aussi au regard des critiques de l'album. Le son global de "The Line" n'est peut être plus à mon goût, mais en tout cas jouer certains de ces titres sur scène avec notre son actuel reste un réel bonheur. Je me demande bien comment ça pourrait sonner si on devait ré-enregistrer une des chansons de "The Line" de nos jours, tiens...
Individuellement, qu'est-ce que "The Line" vous a appris, et qu'est-ce que "Kala" doit à "The Line" ?
Héli : Ce qu'on doit à "The Line" ? Tout ! L'expérience du studio, de la promotion, la communication, mais surtout découvrir que des gens aiment ce qu'on fait ; avoir des retours géniaux de la part de professionnels ; à titre personnel, que des gens aiment ma voix et qu'ils la trouvent émouvante, mes premiers concerts et d'autres.
The Line portait quelques prémices du style qu'on voulait aborder par la suite notamment avec un petit peu de chant mongol et la piste "A Mazing World" qui contient du duduk et une derbouka. On était curieux de ça mais on le réservait pour Kala.
Guillaume : "Kala" doit tout à "The Line". Je pense que chacun de nos projets nourrira le suivant. Cette première expérience nous a permis d'être meilleurs sur tous les aspects pour "Kala", que ce soit en terme d'organisation, de composition, de promotion. Chacun des choix pour "Kala" a été conscient et réfléchi, et si on avait pris la décision de se concentrer dès le début sur les compos qui allaient devenir celles de "Kala", le résultat n'aurait jamais été à la hauteur de ce que l'on a produit aujourd'hui.
Individuellement, "The Line" m'a appris à devenir un meilleur compositeur, à toujours réfléchir à ce qui rendra une chanson meilleure et à ne pas tartiner chaque section avec des claviers ! Ca a surtout été le point de départ d'une aventure humaine incroyable. C'est cliché, mais c'est vrai !
Merci, Mobius, pour votre accueil.
Merci à toi !
Mobius 2020. De gauche à droite : Adrien Brunet, Guillaume Deveaux, Héli Andrea, Xavier Pompon, Alexandre Gaudencio. (Photo Héli Andrea)
THE LINE - LES CRITIQUES ONT DIT :
- Pour ce premier opus Mobius met la barre très haute.
https://www.unitedrocknations.com - Oui j’ai été séduit, et je ne peux que vous inviter vivement à découvrir ce groupe qui fera inévitablement parler de lui tant la maturité des musiciens transparait dans The Line.
https://amongtheliving.fr - Mobius a énormément de potentiel et en dévoile une grosse partie sur ce premier album.
https://one-standing.com - Un travail vocal d’autant plus impressionnant lorsque l’on sait qu’Héli assure à elle seule toutes les parties vocales et chœurs «féminins».
https://metaldream.soforums.com - Ce disque est bouleversant du début à la fin.
https://www.lesuricate.org