Greta Van Fleet ne manque ni de matière ni de jus, proposant un album de hard-rock particulièrement vif, toujours plaisant, parfois grand.
Par Ahasverus
En un peu plus de dix ans, Greta Van Fleet est devenu incontournable sur les cîmes du rock international.
L'histoire commence en 2012. Nous voici à Frankenmuth, blaze improbable, qu'on croirait tiré d'un vieux film de Polanski, pour une petite bourgade du Michigan fondée par des colons allemands à la fin du XIXème siècle. Jake Kiszka (guitare) débauche ses frères, Josh (chant) et Sam (basse, clavier), ainsi qu'un pote batteur ( Kyle Hauck alors ; Danny Wagner désormais) pour jouer du rock dans le garage familial. Le nom de baptême du quatuor formé par ces galopins (le petit dernier a juste dix-huit ans) pirate celui de la doyenne du bled.
GRETA VAN FLEET par Neil Krug
Le succès est fulgurant : dès le premier EP (2017) le single « Highway Tune » squatte le Billboard Us Maistream Rock durant quatre semaines. L'album qui suit en 2018 (« Anthem of the Peaceful Army ») atteint les premières places du Billboard US Rock Album à sa sortie. En 2019, c'est au tour de l'EP « From the Fires » de rafler le Grammy Award 2019 du meilleur album de rock ! Deux ans plus tard, Greta Van Fleet sort « The Battle at Garden's Gate », qui tente vaguement de se défaire de l'ombre du Zeppelin qui plane sur le groupe — à l'insu de son plein gré — depuis les origines. Mais chassez le naturel, il revient au galop, et 2023 sonne l'heure du retour au bercail avec un troisième album :
« Starcatcher »
Troisième album, avec une intention clairement affirmée : retrouver le son des débuts, celui du garage de la famille Kiszka. Dans l'esprit, hein ! Parce qu'entendons-nous bien : vous n'entendrez jamais quelqu'un sonner comme ça dans un garage ! Dans la pratique, on a clairement privilégié les meilleurs studios, les plus grands pros Jugez plutôt : Dave Cobb (Slash, Europe) à la production, Mike Stent (Björk, Madonna) au mixage, et Pete Lyman (Rival Sons, Europe) au mastering.
Par contre, côté pochette, je sais pas vous, mais moi c'est pas ouf !
Mais bon, pourvu qu'on ait l'ivresse... Musique !
Vous n'y couperez pas ! Dès la première piste, Greta Van Fleet réveille la comparaison avec Led Zep. Les vibrations de « Fate Of The Faithful » évoquent invariablement « No quarter ». « Thank You » et « When The Levee Breaks » sont les autres standards du géant anglais évoqués çà et là par les chroniqueurs. Il est clair que l'endiablé « Runway Blues » ou le folkeux « Farewell For Now », n'auraient pas dépareillé sur un bon Led Zeppelin.
On imagine bien ce que cette cascade de comparaisons peut avoir d'agaçant pour cette formation américaine qui cultive le déni avec obstination. Ils sont d'ailleurs les seuls: pour les autres, tous les autres, la paternité est encore plus évidente que celle du fils caché d'Alain Delon. Elle en devient clivante, certains critiques n'hésitant pas à noircir leurs papiers de mots assassins. Ainsi pour Sputnik Music, l'album « cesse d'être une expression artistique » et il flotte « dans sa propre stérilité », tandis que le Français Benzine estime que « cette filiation ostentatoire est peut-être le seul argument de vente de Greta Van Fleet. »
Quant à nous, nous trouvons ces hallalis bien précipités. Pour certaine qu'elle soit, l'influence de qui-vous-savez, ne doit pas masquer le brio avec lequel l'affaire est menée, un brio suffisant pour donner naissance à une suite de grands albums. « Starcatcher » n'échappe pas à ce qui est désormais la règle. Et puis quoi ! Greta Van Fleet ne saurait être confondu au blind test avec Led Zeppelin par un amateur de rock digne de ce nom. Ainsi ce nouvel opus apportera du plaisir à l'auditeur décrispé, car Greta Van Fleet ne manque ni de matière ni de jus pour reprendre le flambeau. La voix énervée de Josh Kiszka, capable de couvrir quatre octaves, n'est pas un ersatz de celle de Robert Plant, même si elle présente des similitudes, même si tel ou tel morceau évoque à nos esprits l'empreinte sacré.
Au résultat, le songwriting des Américains construit un album de hard-rock particulièrement vif, toujours plaisant, parfois grand (« Meeting the Master »). Et quand bien même ces Américains parviendraient au sommet par des voies ouvertes jadis par le fondateur du hard-rock britannique, ils auraient bien tort de ne pas les suivre, et nous de nous en priver !
Greta Van Fleet jouera à l'Accor Arena (Bercy pour les anciens du gaz) à Paris en novembre 2023.