A part Denise, ma grande sœur, qui préférait la Bible, on était tous piqués par le virus de la musique dans la famille.
On le tenait de ma mère la Louise. C'était une fan de Piaf. Elle avait vu La Môme à Nantes, pendant la guerre, sous les bombardements du château de la Duchesse Anne, dont mon grand-père était gardien parce qu'il avait perdu sa particule. Enfin je vous dis ça en vrac, parce que ses souvenirs de guerre, je les écoutais distraitement. Alors je sais plus...
Mais le virus de la musique, c'est sûr, c'est la Louise qui nous l'a refilé ! Elle m'entraînait régulièrement rue Bayard, à Paris, au numéro 22. C'est là qu'étaient installés les studios RTL.
C'était un périple d'aller là-bas ! Il fallait prendre l'autobus 190, le B de préférence, il est semi-direct. Mais il ne circulait qu'aux heures de pointe... A Mairie d'Issy (Teeeeerminus !) on empruntait le métro. On changeait à Montparnasse, puis on descendait à Franklin Roosevelt, on passait devant le Grand Palais, on faisait la queue entre les barrières... On est à deux pas des Champs-Elysées, de la Concorde, du Louvre...
La Louise, elle considérait un peu RTL comme sa famille. Elle connaissait tout : Les Grosses Têtes, Fabrice et sa valise, André Torrent. A la maison, la radio marchait en permanence, alors qu'on n'allumait la télévision que pour des rendez-vous précis.
A RTL, la Louise alpaguait les artistes à la sortie, le temps d'un autographe. Henri Salvador, Dave, Les Rubettes, Gérard Lenormand, Bernard Sauvat, Jairo... Malheur à celui qui aurait refusé sa signature. Elle a fait signer ses carnets par à peu près tout ce que la chanson française compte de connu... et d'oublié.
La Louise faisait aussi la collection des couvercles de boîtes à camemberts. Quand tu mets ça en perspective, ça relativise la valeur de ses autographes...
A RTL, j'ai un souvenir particulier d'un jour de 1978... Entre C Jérôme et Plastic Bertrand, un jeune groupe faisait son entrée sur la petite scène, certainement chez André Torrent. Ils évoluaient à deux doigts de nous. Ils avaient fait un tube qui marchait bien en radio, ils venaient le défendre. Ca s'appelait « Heart Of Glass ».
La chanteuse était très jolie. Elle souriait vaguement. Mais son sourire ne s'adressait pas à nous. Au contraire, il lui permettait de s'échapper ; sa moue avait quelque chose de profondément désinvolte. Ce contrepied total avec les autres artistes, cette impertinence de l'échappée, rendaient Debbie Harry captivante. Je n'avais jamais vu quelque chose à la foi d'aussi irrévérencieux et d'aussi magnétique.
Blondie me donnait ma première leçon de rock. J'avais treize ans. Les New-Yorkais avaient commencé leur carrière quelques années plus tôt au CBGB, partageant l'affiche des Ramones, préparant la naissance du mouvement punk, et même s'ils avaient bifurqué vers la pop, il en restait quelque chose.
« Parallel Lines » est leur troisième album, et leur plus grand succès. Pas mal de tubes dans la tracklist, et surtout ce « Heart Of Glass » qui amenait la reconnaissance planétaire et leur ouvrait une belle carrière.
Au fait, ils ont déménagé à Neuilly, les studios RTL.
RTL à Neuilly... N'importe quoi ! Et pourquoi pas l'Arc de Triomphe à Nanterre, tant que tu y es ?
Once I had a love and it was a gas
Soon turned out had a heart of glass
Seemed like the real thing, only to find
Mucho mistrust, love's gone behind
Tu as bien raison ! Tout fout le camp ma pauv' Debbie !