Cette semaine, en faisant un peu de tri dans mes tiroirs, j'ai retrouvé un de mes premiers live-reports.
Publié initialement le 23/04/2018
Enfin presque... Je l'avais initié à l'occasion de la venue des Seeds Of Mary à Antibes en 2018.
J'étais parti en retard, et je n'étais jamais allé à La Hacienda, un club de motards qui a fermé depuis. J'avais du mal à trouver et j'avais stationné mon Zafira devant Conforama pour chercher le club à pieds, guidé par la musique.
La salle était baignée d’une lumière rose. Spooky Damage ouvrait la soirée. Le groupe était déjà sur scène. Je consultais mes notes : « Jeune formation fréjusienne / Trio punk-grunge / Cinq ou six concerts au compteur ».
Pour l’heure, ils reprenaient « La Vie Par Procuration », de Jean-Jacques Goldman, dans une version très fidèle à l'originale. Bien vu, ça interpelle, pensais-je, pour un groupe de punk ! Puis Spooky Damage enchaînait sur « Quand la musique est bonne » et « Comme Toi ». Trois cover de Goldman, c’était carrément provocateur pour des keupons !
En final, le groupe balançait « Je te donne ». Je trouvais leur approche du punk étonnante, mais intéressante, et le public, qui frappait dans ses mains pour les encourager ne s'y était pas trompé. « Je te donne » marquait la fin d'un set sans rappel, car déjà les musiciens abandonnaient leurs instruments et filaient vers le bar. C’était le moment pour « pécho » des informations.
Je m’approchais du zinc et je commandais une bière.
« — On ne sert pas d’alcool, répondit la serveuse. C’est cocktail goyave/pamplemousse/patate douce, ou cocktail citron/brimbelles/carottes.
— Ça a bien changé, les Bandidos ! fis-je pour plaisanter. Va pour goyave ! »
Elle haussa les épaules en murmurant un truc très exagéré à propos de ma virilité, posa un grand verre avec une paille et un parasol devant moi puis se tourna pour essuyer ses verres au torchon en affectant de m'ignorer.
Je pris mon verre et m'approchais des musiciens...
« — Salut ! Je suis Ahasverus, d’Ahasverus - Métaux En Tous Genres !
— Salut ! Je suis Jean-Marc, des Pigeons Du Balcon... » me répondit en souriant l’un des zicos du tac au tac.
Jean-Marc, ça faisait pas très punk. Je repris :
« — Je prépare un live-report, pour mon zine. J'aimerais faire un petit article sur votre concert...
— Si tu veux, mon gars. J’ai pas l’habitude de pratiquer la langue de bois, alors si tu as des questions, envoie ! »
Je sortis mon calepin, un stylo, mon dictaphone, et je lançais :
« — Jean-Marc, depuis combien de temps joues-tu dans Spooky Damage ? »
Il marqua un temps d'arrêt, me fit répéter la question, puis répondit bien dans le micro :
« — Mon groupe s'appelle “Les Pigeons Du Balcon”, c'est un tribute-band à Jean-Jacques Goldman. J'y joue depuis trois ans.
— Mais... C’est pas La Hacienda, ici ?
— Ah non, répondit-il. Ici, c’est l’Antibealthy’S ! Le premier bar “Healthy” d’Antibes ! La Hacienda, c’est de l’autre côté de Conforama. »
Jean-Marc eut la gentillesse de me guider jusqu’à La Hacienda, mais quand j’entrais dans le club, Spooky Damage avait presque terminé son concert. Ils reprenaient « In Heaven (Lady In The Radiator) », du film « Eraserhead ». Puis ils enchaînaient sur « Dynamite », et « Fuck You, Fuck U2 ». Ça rappellait les Ramones, les Sex Pistols, voire les Clash, c’est à dire un bon vieux Punk teinté 77’ qui sait gueuler 1/2/3/4 sans faire plus d’histoires. Le batteur tapait dur. Le set se clôturait par « Will You Fight? »
Tandis que Spooky Damage remballait ses gaules, les Seeds installaient leur matos. J’avisais ma jeune voisine. Sa tête me disait quelque chose... Eurêka ! C’était Flora, l’ex-bassiste des Porno Graphic Messiah ! Je l'abordais :
« — Bonjour ! Vous êtes bien l’ancienne bassiste de Porno Graphic Messiah ?
— A qui ais-je l’honneur ? demanda-t-elle, méfiante.
— Ahasverus, du zine Ahasverus - Métaux en tous genres. Que faites-vous maintenant, musicalement ?
— Stormy Doom ! » répondit-elle, tandis que les riffs de « I’m Not Afraid » envahissaient la salle, interdisant toute conversation.
Bassiste dans Stormy Doom ? C'était intéressant comme info. Je notais, bien décidé à reprendre cette conversation plus tard.
La prestation des Seeds Of Mary faisait la part belle au Blackbird album, un opus très abouti, au packaging soigné dessiné par Julien, le guitaritste. Malgré l’exiguité de la scène pour un quintette, Julien frappait le plancher comme un diable, et les harmonies vocales de Jérémy et de Raph atteignaient des sommets, notamment sur le titre « The Blackbird », bien qu’ils se disent tous deux amoindris par la grippe. La version live syncopée de « Like a Dog » était encore meilleure que celle de l’album.
En fin de set, les Seeds s’amusaient à faire chanter le public. Seeds Of Mary avait maintenant une signature immédiatement identifiable, il est aujourd’hui sans conteste l’un des meilleurs représentants de la scène Metal alternative.
Les Seeds rangeaient déjà leur matériel. Scars Summer et sa bande, s’installaient, car c'est Porno Graphic Messiah qui clôturait l'affiche. Après « Til Death Or Nothing » en 2014, le groupe venait de sortir « Terrorize Me », un puissant album de Metal indus qui leur valait pas mal de succès, le groupe ayant atteint sa maturité.
Tandis que Porno s'installait, je retournais voir Flora pour en savoir un peu plus à propos de Stormy Doom, son nouveau projet.
« — Stormy quoi ?
— Ton groupe, Stormy Doom. Vous avez un album en préparation ? »
Flora me regardait d’un air étonné. Je repris:
« — Tout à l'heure, tu m'as bien dit que ton groupe s'appelle Stormy Doom ?
— Stoner / Doom ! J'ai dit que je jouais du Stoner Doom ! C’est des genres de musi... Mais tu travailles pour quel mag, toi, déjà ? »
Porno Graphic Messiah avait installé son matos. Je jugeais opportun d’éluder la question de Flora et de m’éloigner un peu. Le quatuor de Metal Indus démarrait son set avec « Star », un de mes morceaux préférés. Scars Summer jouait avec son avant-scène et rejoignait le public dans la salle.
Marion et Scars entreprirent en duo « AOTA ». Je gagnais le premier rang. Scars Summer doublait la voix de la guitariste avec un bel effet. Je notais la présence d'une setlist des Seeds sur le plancher de la scène. Elle était maintenue par un câble. Je tirais légèrement la feuille pour la récupérer. Sans succès. J'entrepris alors de soulever le câble tout en tirant sur la setlist d'un coup sec. Le cable, emmêlé, avait du mal à se lever. Je tirais un peu plus fort. Le son se coupa net au même moment. Je remarquais Flora à quelques mètres de moi. Elle me jetait un regard désapprobateur.
Aidés par Jérem' le chanteur des Seeds, les musiciens mirent un certain temps à trouver l'origine de la panne. Quant à moi, la setlist glissée en poche, il me sembla plus prudent de rejoindre le fond de la salle. Tandis que j'étais au bar, je vis que Flora me scrutait, les sourcils froncés. Elle partit d'un pas décidé parler à Aaron et Eliott. Les deux Seeds me jetaient des regards orageux. Je profitais de la pénombre pour quitter La Hacienda sans être vu.
De crainte qu'on ait repéré mon Zafira, je me réfugiais à l’Antibealthy’S, où un groupe reprenait « Le Parking des Anges ». C’était « Bascule Avec Lavoine », un tribute grassois à Marc Lavoine, m’expliquait Jean-Marc, que je retrouvais au bar tandis que le public tapait dans ses mains en chantant le refrain.
Je regardais par la fenêtre. Scars et Valentin, des Porno, soulevaient les couvercles des bacs à poubelles pour en vérifier le contenu. Les Seeds, sondaient sous les voitures. Fabien et Marion, les deux derniers Porno, aidaient Spooky Damage à fouiller chaque côté de la rue. C’est clair, ils me cherchaient !
Je quittais la fenêtre pour retrouver ma place au bar, sirotant un Goyave/Pamlemousse/Patate Douce tandis que Bascule Avec Lavoine lançait « Le Pont Mirabeau ». Je tâtais ma poche. La setlist était toujours là.
Vers trois heures du matin, tous assis au bar, on reprenait a capella « Les Yeux Revolver », en se tenant par les épaules et en se balançant de droite à gauche à l'unisson. J’avais des aigreurs d’estomac à force de cocktails à la goyave.
L’Antibealthy’S ferma ses portes vers cinq heures. Je jetais un coup d’oeil prudent dans la rue. Tout était calme. Les Seeds, Porno et Spooky avaient abandonné leurs recherches et devaient être loin.La setlist était au chaud dans ma poche. Je fis la bise à Jean-Marc et on se promit de se revoir le week-end suivant pour le concert des Sarbacanes, le tribute cannois à Francis Cabrel. Je partis en chantonnant, les yeux mi-clos...
« Est-ce que ce monde est sérieux ?
Est-ce que ce monde est sérieux ? »